Karen Mazurkewich est vice-présidente des relations avec les intervenants et des communications à l’aéroport Toronto Pearson et ancienne journaliste au Financial Post et au Wall Street Journal. Cet article d’opinion a d’abord été publié sur USA Today (en anglais).
Quinze ans après que Twitter (maintenant X) a pris son envol, TikTok est devenu son équivalent pour déblatérer sous forme de vidéos dans les médias sociaux. Ce que Twitter a fait en limitant le nombre de caractères, TikTok a fait de même avec ses courtes capsules vidéo filmées avec des téléphones intelligents, qui sont encore plus susceptibles de devenir virales. Surtout si vous avez quelque chose de négatif à dire.
Bien qu’elles soient amusantes et utiles, ces plateformes ont aussi un côté extrêmement sérieux – en diffusant l’information rapidement et à très grande échelle, elles peuvent faire ou défaire une réputation en temps de crise.
On peut dire qu’aucun autre secteur n’a eu autant de crises à affronter récemment que l’aviation. Tout le monde travaillant dans notre industrie a pu constater ce que ces applications peuvent faire, en apprenant à en tirer le meilleur parti et à survivre aux pires situations.
Ce que j’aime de X, de TikTok et des autres médias sociaux, c’est qu’ils aident notre industrie à rejoindre nos clients où qu’ils soient, notamment en ligne. Ils nous aident à transmettre de l’information de façon proactive et nous permettent de communiquer directement avec les passagers pour répondre aux commentaires, bons ou mauvais. La plupart des gens qui travaillent dans le domaine de l’aviation ont réellement à cœur l’intérêt des passagers, et ce n’est pas un slogan publicitaire. Nous voulons que tout se passe bien et nous cherchons des façons d’aider les gens à s’y retrouver dans le système.
Ce que je n’aime pas de ces plateformes, c’est qu’elles prennent des situations concrètes et complexes, les simplifient, puis en font des nouvelles.
Les voyages peuvent être stressants et compliqués, et font ressortir le pire chez certaines personnes – une tendance qui s’est intensifiée pendant la pandémie. Les crises, le racisme, l’intimidation et l’ivresse ont toujours existé dans notre secteur, mais ils sont de plus en plus filmés et publiés en ligne. Même si la plupart de ces vidéos portent atteinte à la réputation des passagers et non à la nôtre, elles sont tout de même difficiles à regarder.
Les publications sur les réseaux sociaux qui nous empêchent de dormir sont celles qui répandent des faussetés sur nos opérations. Certains auteurs de ces publications sont de véritables trolls. D’autres ont eu de mauvaises expériences légitimes, mais ne connaissent pas tous les faits ni l’ensemble du contexte pour savoir quelle organisation ou entité identifier dans la publication. Ils font de fausses présomptions sur la nature du problème, sur les causes de celui-ci ou sur la façon dont il pourrait être résolu. Plus ils expriment de la colère, plus la publication devient virale.
Ces histoires sont souvent suffisamment crédibles pour attirer l’attention des médias grand public. Étant moi-même une ancienne journaliste, je sais à quel point les journalistes aiment se porter à la défense de leurs lecteurs. Cependant, permettre aux médias sociaux d’orienter la couverture médiatique a souvent pour effet d’amplifier et de légitimer la désinformation et l’indignation en temps réel. C’est ce que j’appelle la « twitterisation » des nouvelles.
J’en suis constamment témoin à l’aéroport Toronto Pearson, et si vous nous suivez sur les médias sociaux, vous le voyez peut-être aussi. Voici ce qui se produit habituellement :
- Une situation affecte un passager, mais celle-ci ne ferait pas les manchettes à elle seule. Le passager publie une vidéo sur X ou TikTok.
- Les détails à propos de qui a fait quoi sont erronés. Notre administration aéroportuaire se fait souvent identifier et critiquer dans des publications au sujet d’annulations pour cause de conditions météorologiques, de retards entraînés par d’autres aéroports, de bagages provenant d’ailleurs qui ont manqué leurs correspondances ou de plaintes concernant la dotation des fonctions dont nous ne sommes pas responsables, comme le contrôle de la circulation aérienne.
- Même si le problème se règle rapidement, la vidéo devient virale. L’indignation s’ensuit et les salles de presse, qui n’auraient pas à l’origine publié d’articles intitulés « Vol retardé par la météo » ou « Des bagages arrivent en retard », ressentent maintenant la pression de couvrir l’événement. Toutefois, leurs histoires ne portent pas vraiment sur ce que le passager a vécu, mais sur une vidéo virale.
C’est ainsi que l’information circule de nos jours, pourrait-on dire. Pourquoi une compagnie aérienne ou un aéroport ne peuvent-ils pas réagir plus rapidement? Pourquoi ne pouvons-nous pas mieux résoudre les plaintes publiées sur les médias sociaux?
Ces questions méritent d’être posées et nous nous les posons tous les jours. Les budgets dans le domaine de l’aviation sont déjà en train de changer.
À Toronto Pearson, notre service à la clientèle traite les plaintes que nous recevons sur Facebook. Deux spécialistes des médias sociaux, et surtout des publications virales dans les médias sociaux, travaillent dans notre équipe où ils agissent à titre de journalistes affectés exclusivement aux terminaux qui surveillent les nouvelles opérationnelles à transmettre aux passagers.
Nous travaillons également à ajouter un volet audiovisuel afin de pouvoir partager du contenu avec les médias d’information aux fins de diffusion ou de publication sur les médias sociaux.
Un autre organisme essayant d’améliorer la situation est United Airlines, qui a mis sur pied une équipe de gestion de crise sur les médias sociaux à son centre d’opérations internationales.
« Quelque chose de complètement fou pourrait se produire dans un établissement de chaîne hôtelière et personne ne s’en soucierait, mais si la même chose se produisait à bord d’un avion, ça ferait la une de l’émission Today le jour suivant », a déclaré Josh Earnest, vice-président directeur de la publicité et des communications, à Axios en décembre.
Il affirme qu’en réagissant en temps réel, la compagnie aérienne peut souvent empêcher une crise de faire boule de neige.
Nous ne réglerons jamais tous les problèmes sur les médias sociaux, ne serait-ce qu’en raison de leur ampleur. Au cours d’une journée typique, l’aéroport Toronto Pearson accueille plus de 150 000 passagers et United en transporte plus de 400 000, ce qui représente beaucoup de situations pouvant faire boule de neige à gérer.
Néanmoins, nous devons tirer le meilleur parti de ces plateformes.
À tous les autres passagers, il est probablement impossible de s’attendre à ce que nous comprenions tous qui fait quoi dans un aéroport. Cependant, nous pouvons et devrions nous renseigner au sujet du fonctionnement des applications que nous utilisons, du contenu sur lequel nous cliquons et de la manière dont l’information devient virale.
À tous mes anciens collègues du milieu journalistique, je vous invite à réfléchir longuement et sérieusement à vos modèles d’affaires et à la manière dont vous jugez ce qui constitue une nouvelle à l’ère numérique.
À tous mes collègues du secteur de l’aviation, essayons de tirer le meilleur parti de ces plateformes sociales. C’est-à-dire, s’en servir pour recevoir et traiter les plaintes, résoudre les problèmes et aider les passagers à se rendre là où ils doivent aller, peu importe qui serait responsable. Nous devons également intervenir tôt et fréquemment pour corriger l’information erronée avant qu’elle se mette à circuler. Pour ce faire, nous devons publier rapidement dans les médias sociaux et faire des mises à jour régulières en période de crise.
Nous devons également innover pour fournir aux médias de l’information de grande qualité en temps réel, au lieu de laisser les journalistes s’inspirer de la désinformation virale.